Perspectives du Management de Transition en 2022

L’exercice des prévisions a été plutôt risqué ces 2 dernières années. Avec quelques rares confrères, nous avions anticipé la baisse du marché en volume dès le 1er confinement en 2020, et ce à contre-courant de l’avis général. Le redémarrage en fanfare en 2021 n’a pas eu lieu, même si certains signaux se sont avérés très positifs. Pour 2022 nous nous limiterons à présenter quelques chiffres clés, qui permettront à chacun d’élaborer ses propres prévisions d’évolution du Management de Transition. Nous restons quant à nous très optimistes, étant armés pour faire face à ce type de contexte imprévisible.

Evolution du marché en 2020 – 2021

Notre veille concurrentielle recense près de 150 acteurs sur le marché français du Management de Transition (liste des types d’acteurs). Comme en 2020, nous avons observé beaucoup de nouveaux entrants en 2021. Ce sont pour la plupart des entreprises individuelles, ou des cabinets RH en recherche de diversification. D’après les chiffres 2020 et la tendance 2021, l’augmentation de l’offre et la diminution de la demande pénalise d’abord les plus grosses structures. Les petites et moyennes sont moins impactées. Celles qui lancent aujourd’hui leur activité bénéficient d’un contexte très formateur.

Parmi ceux qui devraient publier leurs comptes annuels, 32% l’ont fait sur au moins une des 2 dernières années. C’est le meilleur score enregistré depuis nos premières évaluations en 2015. C’est donc à partir de ces chiffres, en plus de ceux confiés par des confrères, que nous avons déterminé les pourcentages ci-dessous. Cette méthode produit des résultats similaires à ceux des études XERFI et PLIMSOLL.

La valeur du marché a reculé de 12,7 % en 2020 (1) pour les cabinets qui ont une activité dominante ou significative en Management de Transition. Ce chiffre est à rapprocher des 15 à 20 % de progression en moyenne sur les 3 années précédentes. L’année 2020 ayant bénéficié de l’inertie des missions en cours, il n’est pas impossible que 2021 montre un recul encore plus important. C’est en tout cas ce qui semble se dessiner d’après les confrères avec qui nous échangeons. L’évolution des CA est très disparate, certains cabinets ayant surperformé en 2020 comme Inside Management (+61%), Mazars (+49%), Valtus (+16%), ou Lincoln (+9%).

Fusions – Acquisitions

A notre connaissance, il n’y a pas eu d’acquisition majeure ni de rapprochement de cabinets français en 2021. Comme nos confrères, nous sommes régulièrement sollicités par des intermédiaires en fusion-acquisition. Grossir en France, puis à l’international, est une stratégie respectable. Mais ce n’est pas l’unique possibilité. Le Management de Transition n’est pas menacé d’uberisation dans sa globalité, seule une partie bien spécifique de son activité sera potentiellement impactée : celle qui se rapproche de l’intérim à moindre valeur ajoutée. Les plus grosses structures sont celles qui ont le plus souffert pendant la crise, ce n’est donc pas forcément une stratégie incontournable. Cela étant dit, l’année 2022 pourrait être l’occasion de rachats de certains cabinets affaiblis.

Perspectives 2022

L’évolution du marché sera directement liée à la reprise de la croissance économique, et il est difficile de la prévoir. En ce qui nous concerne, nous pensons que ce sera l’année des cabinets réactifs et résilients, quel que soit le contexte pandémique. On ne parle plus de ‘retour à la normale’, car la normalité doit s’accommoder d’une instabilité durable. Accessoirement, c’est aussi l’essence de notre métier !

Les publications de l’association France Transition contredisent les chiffres évoqués plus haut. Avec 15 pure players du Management de Transition seulement, le panel n’est pas représentatif. Les moindres performances des membres de cette association sont avérées, avec par exemple 3 % de progression quand le marché faisait + 15 à 20 % (3). Au global sur 2020, les comptes des adhérents montrent une baisse de 1,3% (5). Or, cette progression cache une forte baisse : – 22 % si l’on neutralise le CA du cabinet qui fait plus de la moitié du volume de l’association. Enfin subsiste avec France Transition un problème de transparence : 75 % des adhérents ne publient pas leurs comptes (moyenne secteur 32%), et plusieurs sont en difficulté (4)(5).

Sources : (1) Infogreffe.fr, Societe.com et comptes certifiés (2) Syntec Conseil (3) Publications de l’association FT (4) Veille concurrentielle IM (5) Etude sectorielle Plimsol

Les pure-players

Ceux qui ont le plus souffert depuis 2020 sont ceux qui ont abordé la période de crise avec un handicap d’image ou de performance. Il faut remonter à 2012* pour trouver des cabinets d’envergure nationale en perte ou en dépôt de bilan (* avec Procadres, ancienne structure). Le faible taux de publication des comptes dans notre secteur laisse présager un phénomène de plus grande ampleur, ce qui conduit malheureusement notre activité à justifier l’adage des cordonniers mal chaussés…

Néanmoins, de nombreux facteurs peuvent expliquer une contre-performance sévère. Les cabinets français restent dans leur immense majorité des petites et moyennes structures indépendantes, soumises aux lois de l’entrepreneuriat. A ce titre, elles ont une fragilité structurelle que leur activité de gestionnaire de crise ne laisse pas présager.

Pendant les années précédentes de surenchère en communication, il devenait difficile de discerner les véritables experts de notre métier des simples opportunistes. Cette crise, qui a beaucoup plus impacté notre secteur que celle de 2008, aura peut-être le mérite de remettre un peu d’ordre dans nos valeurs, et d’élever le niveau général perçu par nos clients. C’est en tout cas notre souhait pour 2022.

Liste des acteurs du marché

Les indépendants : la face cachée 

Le nombre de managers indépendants est difficile à appréhender, en raison notamment de leur statut : portage salarial, contrat salarié, structure personnelle, entreprises tierces. Nous estimons, par intuition, qu’ils représentent la 1ère force d’intervention en nombre, et la 2ème en chiffre d’affaires. Notons que les périmètres des indépendants et des cabinets possèdent une intersection commune conséquente. En toute logique, le taux d’occupation des managers a fortement baissé à partir du 3ème trimestre 2020, comme le laissent supposer les nombreux indices à notre disposition.

Ceux qui ont le plus souffert de la baisse d’activité sont les indépendants sans résiduel d’indemnités Pôle Emploi, ou opérant via leur structure personnelle. Ils ont été les grands oubliés du « quoi qu’il en coûte », ne pouvant pas forcément justifier des conditions nécessaires à l’obtention d’aides. Ceux qui opéraient par l’intermédiaire du portage salarial ont pu, à condition d’avoir été salariés assez longtemps, percevoir des indemnités. Ceci grâce au travail des instances représentatives des EPS depuis leur création.

Pour 2022, nous aimerions que le statut et la reconnaissance des indépendants soient négociés, afin de supprimer les trous dans la raquette. Ceci implique un travail commun des cabinets et des associations de managers, sous l’égide d’une vraie Fédération. Il n’existe aucune organisation apte à mener ce combat en France, mais il n’est pas interdit d’y aspirer (voir paragraphe ‘instance représentative’ ci-dessous).

Instance représentative 

Fin 2019 nous écrivions « Sans véritable instance représentative, le Management de Transition restera inaudible au niveau politique national ». Malheureusement, le marché français ne possède toujours pas d’instance représentative reconnue à ce jour. L’association France Transition avait pour volonté initiale de jouer ce rôle. Mais en 10 ans elle n’a jamais réussi à fédérer l’ensemble des acteurs de notre secteur, devenant l’association de communication d’un microcosme bien loin des besoins.

Une vraie Fédération pourrait initier les actions attendues par l’ensemble des parties : du lobbying auprès des instances politiques ; un label sécurisant pour nos clients ; un contrat social adapté pour les intervenant(e)s ; des analyses sectorielles semestrielles pertinentes pour les acteurs du secteur ; une véritable charte d’éthique du métier ; un nouveau mode de calcul des droits ; etc. Sans cela, le marché français aura du mal à atteindre le niveau de développement de nos voisins anglais ou allemands.

Communication

Dans l’édition précédente, nous écrivions : « Le référencement et la communication sont deux outils vitaux dans notre secteur. Ils donnent la possibilité de talonner les leaders, même si la qualité intrinsèque du cabinet n’est pas au niveau : un gros budget communication suffit ». L’importance du référencement pousse les prétendants à privilégier la quantité à la qualité. La plupart des publications sur les RSP ont un objectif unique de référencement digital. La forme des publications, imposée par les outils SEO / SEA, entraine une uniformisation rédactionnelle affligeante, sur la forme et sur le fond.

Depuis 2020, la communication de masse a nettement diminué, ce qui pourrait être un signe positif de maturité du marché. Aujourd’hui, la plupart des cabinets qui s’expriment le font dans une optique informative et, sans surprise, ce sont ceux-là qui tirent le Management de Transition vers le haut. Lorsque le dynamisme du marché sera à nouveau confirmé en 2022, il y a fort à parier que la communication de masse à visée marketing reprendra de plus belle.

L’international

Sur les 2 éditions précédentes nous écrivions « L’internationalisation ne présente encore aujourd’hui aucun intérêt. Sauf par anticipation de long terme, et pour une très faible part de marché ». La dimension internationale déclarée par les cabinets français est à considérer avec prudence. Les véritables cabinets internationaux sont rarissimes (5 au maximum en France hors grands cabinets internationaux). Pour des raisons culturelles, les acteurs du Management de Transition sont souvent des structures implantées sur un périmètre national, ce qui ne les empêche pas de travailler pour le compte de client étrangers. C’est le cas chez Inside Management, qui facture chaque année entre 10 et 20% de son CA à des clients étrangers.

2022 ne devrait pas être l’année du développement international, sauf pour 3 cabinets qui développent leur réseau européen depuis plusieurs années. Quelques gros cabinets allemands ou anglais pourraient être intéressés par des structures françaises, mais cela ne concernerait que les plus grosses structures.

Le portage salarial : alerte vigilance

Le portage est un secteur d’activité mature, qui a su se mobiliser au début de son développement pour faire évoluer la réglementation le concernant. Il a souffert de la crise sanitaire dans les mêmes proportions que le Management de Transition, à minima. On aurait pu croire que quelques procès retentissants auraient calmé les acteurs border line, mais il n’en est rien : certaines entreprises intègrent encore dans leurs bulletins de salaire des montants injustifiés, ou ne paient pas l’intégralité des cotisations aux organismes obligatoires. Le % de frais affiché n’est qu’une carotte commerciale.

En cas de doute sur un bulletin de salaire, il faut contacter le PEPS ou la FEDEPS, qui ont lancé des actions contre les tromperies en portage salarial.

C’est la responsabilité du cabinet de Management de Transition de s’assurer de la qualité de son partenaire en portage salarial, afin de préserver les intervenants qui ont recourt à cette solution, notamment les primo accédants.

Au-delà du Management de Transition français

Le marché global du conseil a suivi une tendance proche mais moins négative que le Management de Transition. Rappelons que ce dernier est un petit poucet dans le secteur du conseil : 200 millions d’euros pour le premier (total cabinets), plus de 7 milliards pour le conseil. La baisse d’activité du conseil ressort à 7,2 % (2), La progression pour 2021 était de 6% au premier semestre, ce qui laisse présager une bonne année globale. Avant 2020, l’accroissement du marché était significatif (+7 %), mais en deçà du Management de Transition. Le conseil en stratégie, qui tient une place importante au sein du conseil, a quant à lui plus fortement progressé : + 10 % au 1er semestre 2021 (2).

Un réseau d’associations (INIMA) a mis en ligne une étude européenne sur le Management de Transition. C’est inédit à notre connaissance. La qualité des chiffres présentés tient à la représentativité des associations-membres. C’est le cas pour l’Allemagne (DDIM) et l’Angleterre (IIM), mais pas pour la France et d’autres pays, qui ne sont représentés par aucune fédération officielle. L’initiative reste louable et intéressante, car l’Allemagne et l’Angleterre représentent près de 80% du Management de Transition en Europe.

Pour conclure

Le Management de Transition n’est pas une solution anti-crise universelle et miraculeuse, contrairement à ce que trop de cabinets de notre secteur ont asséné en 2020-2021. En réalité, les entreprises ont dû réagir par elle-même pour faire face à un certain nombre d’urgences : activité commerciale, règles sanitaires, trésorerie, télétravail. C’est un paradoxe qui touche à l’ADN de notre métier : les professionnels de la crise et de la transformation n’ont pas tenu le rôle majeur auquel ils prétendaient.

Pour autant toutes les missions ne se sont pas arrêtées, et de nouvelles ont été lancées, pas seulement en management relai ou en finances. Les variations de CA des cabinets oscillent entre -30% et +60% (pour ceux qui publient leurs comptes), ce qui signifie que le Management de Transition avait son mot à dire. C’est une leçon d’humilité, espérons qu’elle portera ses fruits à partir de 2022.